Etat antérieur et évaluation des préjudices
Dans les suites d’un fait générateur de dommage corporel (accident, agression, erreur médicale etc.), les préjudices subis par la victime sont évalués par un médecin dans le cadre d’une expertise médicolégale (Cf. sur ce point http://abelia-avocats.fr/lexpertise-medico-legale-de-la-victime/).
Au cours de cette expertise, le médecin devra déterminer si les séquelles alléguées par la victime sont bien imputables au fait générateur. En termes juridiques, il s’agit de déterminer le lien de causalité entre les difficultés exposées par la victime et le fait générateur.
Dans certains cas, cette analyse peut s’avérer plus complexe, notamment lorsque la victime présente un état antérieur.
L’état antérieur correspond à l’état de santé que présentait la victime avant que ne survienne le fait dommageable et qui peut, en fonction de la nature et du siège des lésions subies, avoir pour conséquence de réduire voire d’exclure l’indemnisation des préjudices.
Si auparavant la présence d’un état antérieur (ou « prédisposition pathologique ») conduisait les experts à systématiquement écarter l’imputabilité des séquelles présentées au fait générateur, la Cour de cassation a, depuis de nombreuses années, encadré les conditions de la prise en compte d’un état antérieur :
1) Dans l’hypothèse où l’état antérieur était latent avant la survenance du fait générateur et qu’il n’a été révélé que par ce seul fait dommageable, le droit à indemnisation de la victime ne peut être réduit ou exclu du fait de la présence de l’état antérieur (voir par exemple Civ. 2e, 10 novembre 2009, n° 08-16.920, Bull. n° 263 ; Civ. 1re, 28 janvier 2010, n° 08-20.571) :
A titre d’exemple, nous pouvons citer le cas de Monsieur X, victime d’un accident de la circulation à la suite duquel il a subi une opération chirurgicale avec pose de prothèse totale de hanche gauche. A l’issue des opérations d’expertise, le médecin a retenu que Monsieur X présentait, avant l’accident, une coxarthrose gauche (arthrose de la hanche gauche).
Or, selon le médecin expert, la dégénérescence de cette arthrose aurait nécessairement abouti, au bout d’un certain temps, à une pose de prothèse totale de hanche. Il en a donc conclu que la pose de prothèse n’était pas imputable à l’accident, mais uniquement à l’état antérieur. La Cour d’Appel saisie a donc refusé d’indemniser Monsieur X de l’ensemble des préjudices découlant de la pose de la prothèse de hanche.
Monsieur X a contesté l’arrêt de la Cour d’Appel devant la Cour de cassation, qui a cassé cette décision en relevant que, compte-tenu du fait que l’arthrose de Monsieur X était silencieuse avant l’accident et que la pose de prothèse avait été accélérée ou aggravée par cet accident, son droit à réparation ne devait pas être réduit. (Crim., 11 janvier 2011, n° 10-81.716).
2) Si en revanche l’état antérieur s’était manifesté avant la survenance du fait dommageable, l’expert devra déterminer la part des séquelles imputables à l’accident et celle des séquelles imputables à l’état antérieur : la victime ne sera indemnisée que des préjudices découlant des séquelles imputables au seul fait dommageable ;
3) Si enfin la victime présente un état antérieur qui s’était révélé avant le fait dommageable, mais que ce fait dommageable a engendré non pas seulement une aggravation de l’incapacité présentée jusqu’alors, mais une transformation radicale de la nature de l’invalidité, le droit à indemnisation de la victime ne peut, à nouveau, être réduit du fait de cet état antérieur.
A titre d’exemple, nous pouvons citer le cas ancien de Monsieur Z, qui a été opéré d’une cataracte à l’œil gauche. A la suite de l’opération lors de laquelle une erreur a été commise, Monsieur Z n’a recouvré qu’une acuité visuelle réduite et un champ de vision extrêmement rétréci sur cet œil gauche.
Or, des années avant l’opération, Monsieur Z avait déjà perdu l’usage de son œil droit. Il s’en est suivi que, après l’opération, Monsieur Z ne pouvait plus exercer aucune activité professionnelle (alors même qu’il travaillait avant l’opération) et qu’il avait besoin d’être assisté, à mi-temps, d’une tierce personne pour les actes de la vie courante.
La Cour d’Appel alors saisie estima que Monsieur Z présentait, du fait de la cécité de l’œil droit et de la myopie de l’œil gauche qui existaient avant l’opération, un état antérieur justifiant que seules les conséquences de la perte d’acuité visuelle de l’œil gauche devaient être prise en compte. Monsieur Z forma un pourvoi en cassation.
La Cour de cassation cassa l’arrêt d’appel, en relevant que l’opération n’avait pas seulement aggravé l’incapacité que Monsieur Z présentait auparavant mais avait transformé radicalement la nature de l’invalidité qu’il présentait (Cass. Civ. 1ère, 28 octobre 1997, n°95-17274).
Il apparaît donc que la présence d’un état antérieur suscite, lors des opérations d’expertise et ensuite au cours de la procédure d’indemnisation, des difficultés qui doivent être appréhendées à la lumière de ces jurisprudences.